Le texte qui suit est une esquisse d’une introduction à un ouvrage sur les “origines mythiques” de Constantine….
Aborder le palimpseste urbain de Constantine est une véritable gageure. Cette mission est un voyage dans ces temps antiques si lointains qu’il devient presque impossible de les cerner aujourd’hui. Car, aujourd’hui et du haut du XXIe S., la notion du temps est insérée dans des rapports individualistes. Oui, l’instantané cristallise le temps, il est le “lieu” du réel. L’espace se confond au temps et vice-versa. Les échanges sont pratiqués dans une sorte de moment d’inertie et de sédentarité. Ils sont immatériels; des flux qui sillonnent le monde à travers un réseau qui réduit le temps à l’instant présent.
Mieux encore dans la logique libéraliste, consciente de la fluctuation des valeurs et manipulant le privilège des innovations techniques, la valeur du temps se décline dans l’instant “propice”. La civilisation technicienne se complaît dans son amnésie “intemporaine“, rangeant le passé dans la “mémoire morte” elle inaugure “la posthistoire” (P.Virilio. 2010)[1].
Dans un tel contexte que pourrait valoir un voyage dans la mémoire “morte” de la ville ?
Le plaisir du voyage à “la recherche du temps perdu“, surement, mais aussi une chance de ramener dans son escarcelle quelques enseignements pour saisir les instants présents.
Ce voyage dans le temps s’effectue à travers l’espace pour retrouver les lieux pertinents. Ces derniers sont marqués de “beaux fossiles des durées concrétisés par de longs séjours”[2] (BACHELARD Gaston). Une paléontologie urbaine est-elle possible? Elle est surement l’approche la plus indiquée pour aborder le palimpseste urbain. Nous ne sommes pas loin de ce temps comprimé dans le lieu. Il s’agira donc de retrouver le maximum d’indices pour identifier et interpréter sa mémoire, ses vicissitudes et son genius.
Il faut cependant préciser que cette paléontologie urbaine observe les lieux et tout ce qui se rattache à leur définition et leur interprétation. Qu’ils soient toponymiques, récits ou matériels, les indices restent des pistes dont les recoupements procurent à priori une matière à interroger et à interpréter.
Cirta, est-il possible d’évoquer sa “fondation” comme celle de ces villes antiques autour de la méditerranée ou dans la Mésopotamie? De raconter son mythe fondateur?
Aucun poète, ni chroniqueur de l’antiquité n’ont évoqué les augures de sa naissance.
La fondation de Cirta échappe-t-elle à cet événement ” qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements? ”
Nous ne pouvons le croire. Il serait même maladroit de trancher sur son inexistence d’autant que la topographie de la ville est singulière. En effet, le Rocher, le canyon qui l’entoure et le Rhummel qui coule paisiblement dans les profondeurs sombres sont des éléments de nature à suggérer une association prompte à alimenter et amplifier l’imaginaire et tisser des récits fabuleux.
Le “grand commencement” de la ville est surement dans la naturalité singulière de son site. Les rochers aux formes impressionnantes figurent souvent dans des récits extraordinaires. Le mythe avec ses codes, sa structure et son contenu est là pour raconter les conditions d’émergence des formes de vie. Il élabore un cadre ou le sacré, domaine des dieux admet une proximité humaine, soit concurrentielle soit partenariale. Ainsi, la figure du Héros, le grand fondateur et à travers son association aux divinités, justifie la grandeur de l’œuvre et de sa fondation.
Une “généalogie urbaine” est-elle possible sans un tutoiement filial des mythes fondateurs de la cité ? (Précisons que la paléontologie est l’assise primordiale de la généalogie.)
Certes, il est possible d’échafauder des théories imaginables et cohérentes pour prétendre construire un germe à la base d’une formation urbaine, cependant pour être admise dans la pensée universelle, cette performance de l’esprit humain peut échapper à l’histoire spéculative, mais pas à la géographie. D’autre part la rationalité consacrée aux savoirs universaux n’est-elle pas elle-même une “mythologie” contemporaine qui se substitue aux “légendes” primitives?
Aujourd’hui si les savoirs se construisent à partir de conceptualisations doctement élaborés, ou encore à partir des interprétations d’expériences plus ou moins apprêtées, ils sont aussi l’objet de récits ou de narrations dans lesquels le “hasard” s’introduit en accessoire nécessaire et souvent pertinent.
La présence accessoire du hasard est certes admise, mais déclinée comme un fait illusoire. Et pourtant, sa proximité et sa tangence aux conceptualisations ou aux expériences suggèrent une présence pertinente et le raisonnement ne prête aucun ou très peu d’intérêts.
Les cités antiques sont surtout des récits. Elles ne naissent pas seulement d’une nécessité sociale, elles ne s’accommodent pas seulement des conditions physiques et géographiques du site. Elles nous parviennent enveloppées dans des récits notoires et surnaturels. Le mythe fondateur est une narration inoubliable, immémoriale, transmise de génération en génération avec la ferme prétention de perpétuer l’âme de la ville: la cité. Cet attachement se transforme en culte aux fondateurs et une vénération des ancêtres.
La mémoire des ancêtres fondateurs est une gageure, un enjeu tellement essentiel qu’il lui est attribué un caractère sacré. Cet attribut social et spirituel est enveloppé dans une “conte” mystérieux, dans le mythe non seulement dans sa transmission intergénérationnelle mais aussi comme valeur intransgressible.
Chez les anciens, les ancêtres morts étaient des héros, mieux encore des dieux. Cette fonction intégrative du culte est déployée pour préserver un ordre moral commun aux communautés. D’ailleurs cette “obligation” est déterminante des rapports au monde (M. Eliade.1956). Sacré et profane sont les premières valences qui désignent l’environnement. Les ancêtres déifiés par la mort introduisent dans le site d’établissement un espace “sacré” bien délimité, voisin de l’espace profane, que la communauté des descendants aménage pour se sédentariser.
La fixation sur le territoire ne tient pas uniquement aux nécessités “physiques” du site, mais également au “genius loci“, fortement imprégné de l’omniprésence de l’esprit des ancêtres divinisés.
En somme, le souvenir du fondateur “se perpétuait comme le feu du foyer qu’il avait allumé. On lui vouait un culte, on le croyait dieu et la ville l’adorait comme sa Providence. Des sacrifices et des fêtes étaient renouvelés chaque année sur son tombeau“. (F. De Coulanges. 1864).
[1] VIRILIO Paul, Le grand accélérateur. Ed. Galilée.Paris.2010.
[2] BACHELARD Gaston. La poétique de l’espace.
A.BOUCHAREB fev.2017